.../l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie. « La véritable actualité, c’est ça », insiste le cartographe palestinien Khalil Tofakji. Comme pour mieux confirmer ces convictions, à une semaine du début du retrait, le ministère israélien du Logement vient d’autoriser la construction de 72 maisons nouvelles dans la colonie de Betar Illit où résident 20 000 personnes. Depuis le début de l’année, quelque 235 maisons nouvelles, selon les chiffres officiels, ont été bâties dans les colonies de Cisjordanie, la plupart dans le secteur de Jérusalem.
la Cisjordanie réduite en cantons isolés
La situation est particulièrement préoccupante dans la partie occupée de la Ville sainte, appelée à devenir la capitale du futur État palestinien, déjà isolée du reste de la Cisjordanie par le mur et une ceinture de colonies en expansion : « L’objectif ici est de contrôler totalement l’espace et de réduire au minimum le pourcentage des Palestiniens y vivant, explique cet expert. Israël veut parallèlement faire de la Ville son centre politique et culturel. Si ce plan réussit, au moment des négociations sur le statut final de Jérusalem, les Israéliens, qui auront la majorité géographique et démographique, auront beau jeu de dire qu’il n’y a plus rien à négocier, à part peut-être quelque chose pour les lieux saints chrétiens et musulmans. » La bataille démographique est primordiale, les projections y donnant les Palestiniens majoritaires en 2050. La Vieille Ville, à majorité palestinienne, est particulièrement visée par ces plans de « judéisation », dont l’un d’entre eux prévoit la construction d’un nouveau quartier près de la porte de Hérode.
Quelque 1 700 unités de logement seraient en voie de construction en Cisjordanie, selon Khalil Tofakji : « Quand on parle de construction de logements, il faut penser aussi aux dizaines d’hectares de terres confisquées à chaque fois pour le réseau routier reliant ces colonies aux autres et à Israël », souligne-t-il.
la « feuille de route » encore violée
Ce plan a cinq objectifs principaux : mettre la main définitivement sur les ressources en eau, ouvrir une nouvelle voie vers l’aéroport, annexer le maximum de colonies par la suite et, bien sûr, avoir le plus de terres possible avec le minimum de Palestiniens à l’intérieur. Toutes les villes palestiniennes de Cisjordanie resteraient également sous contrôle sécuritaire israélien. » La Cisjordanie n’est de plus pas seulement morcelée du nord au sud, par le mur et les colonies, mais également d’ouest en est, par trois grands axes routiers en cours de construction ou déjà achevés au niveau des régions de Naplouse, de Jérusalem et de Hébron. « En contrôlant ces routes, continue le spécialiste, Israël divisera la Cisjordanie en trois grands cantons ou prisons.
Entre le mur, les colonies et ces axes routiers, Israël gardera la mainmise complète sur la continuité territoriale de notre espace ainsi réduit au minimum. » Une perspective propice à relancer la violence et qui risque, au fil des années, de provoquer une émigration économique, les familles n’ayant plus de quoi subsister. « Cela rejoint l’obsession permanente des Israéliens de transférer les Palestiniens hors de leur territoire, conclut Khalil Tofakji, qui a participé aux négociations de paix de Taba en 2000 et 2001. Certains le répètent assez : la Palestine, c’est à Amman qu’elle doit être établie ! Ce qu’Ariel Sharon est en train de vouloir imposer sur le terrain, c’est plus ou moins ce qui nous avait été proposé lors des négociations de Camp David et de Taba, du temps du président Arafat, et que, bien sûr, nous avions refusé. »
La communauté internationale, États-Unis en tête, va donc devoir peser de tout son poids pour que ce retrait fasse bien partie de la « feuille de route », qui prévoit la fin de l’occupation non seulement dans la bande de Gaza, mais également en Cisjordanie, territoires sur lesquels doit être établi un État palestinien « souverain et viable ».
Jérusalem, correspondance particulière.
Valérie Féron
« Pas de place pour deux peuples dans ce pays »
L’opposition à Ariel Sharon monte au sein de son parti, où les partisans de la colonisation militent pour l’extension d’Israël et l’expulsion des Palestiniens de Cisjordanie. Rencontre avec un membre de l’aile droite du Likoud.
Tulkarem,
correspondance particulière.
Le fait que le premier ministre Ariel Sharon ait promis d’annexer la plupart des implantations de Cisjordanie ne rassure pas les colons israéliens, dont la majorité n’est pas concernée par le retrait. Beaucoup craignent que celui-ci ne soit le premier d’une longue série.
Pour Baruch Liror, installé avec sa famille depuis 1982 à Enav, construite sur les terres du village palestinien d’Anabta, à l’est de Tulqarem, les promesses de Sharon, que tous surnomment « Arik » et qui était déjà aux commandes de l’évacuation du Sinaï en 1982, ne sont « qu’une tactique politicienne » qu’il suit de l’intérieur, étant membre du comité central du parti du premier ministre, le Likoud : « Il est resté Arik le Bulldozer qui n’a jamais su trouver le frein », lance t-il. Il tente de se poser comme un homme d’État mais c’est juste un politicien égocentrique sans vision d’avenir. »
Autant dire que le débat est ouvert au sein des partis politiques, et en premier lieu du Likoud, marqué ce week-end par la démission de Benyamin Netanyahu de son poste de ministre des Finances, avec à venir des risques de scission. Le retrait va immanquablement mener à une redéfinition de l’État, de ses frontières et de son caractère « à la fois juif et démocratique », juge Baruch Liror. Cet Israélien âgé de cinquante-deux ans, né en France dont il est parti à l’âge de dix-sept ans, est convaincu que l’on s’achemine vers « une crise grave » de la démocratie et dénonce les affaires de corruption, ainsi que les « relations entre le politique et l’argent, plus profondes que ce qu’on s’imagine ». Une crise qui semble aussi devoir passer par une redéfinition des relations entre l’État et le religieux, deux notions intrinsèquement liées en Israël et qui sont très présentes dans ce retrait. Pour la deuxième fois, Israël démantèle ses colonies dans des territoires conquis lors de la guerre de 1967. Mais pour Baruch Liror, cette « guerre des Six Jours » représente au contraire « la réparation d’un grand malheur historique » dont a été victime le peuple juif.
Partir de ces territoires est donc « une expulsion et un acte antisémite ». Un sentiment largement répandu chez les colons israéliens, qui se nomment eux-mêmes « habitants des localités juives » de la bande de Gaza et du « berceau de l’histoire juive » : la Judée Samarie (Cisjordanie).
Les idées sur les Palestiniens sont en général tout aussi tranchées que celles sur la géographie et l’histoire de cette terre, comme l’illustrent ces propos de Baruch Liror pour lequel « il n’existe pas de nation palestinienne mais des populations arabes ici, palestiniennes si vous voulez ». Et c’est du bout des lèvres qu’il envisage un avenir quelconque pour ces dernières, éventuellement une autonomie à Gaza, mais sûrement pas en Cisjordanie où le mur est toujours en construction : « Cette barrière de sécurité tombera un jour comme est tombé le mur de Berlin ! assure-t-il.
Et ceci pour une raison majeure : lorsque l’on parle de la Judée Samarie, on parle d’un tout petit territoire qui fait en largeur 50 kilomètres tout au plus. Il est clair qu’il n’y a pas de place pour deux États. Il y a une dynamique historique qui va vers la séparation des deux populations, dont l’une devra partir et, bien sûr, j’espère que c’est nous qui resterons. » Cette idée du « transfert des Arabes » est loin d’être une idée marginale en Israël. Elle alimente régulièrement les débats publics et puise ses racines dans le mouvement sioniste lui-même.
Ces déclarations ne sont pas en effet sans rappeler celles, parmi d’autres, de Joseph Weiss, directeur du département du foncier du Fonds national juif qui, dans son journal, à la date du 20 décembre 1940, notait : « Il doit être clair qu’il n’y a pas de place pour deux peuples dans ce pays. » Il a tenu ces propos huit ans avant l’expulsion (la « Nakba ») des deux tiers des Palestiniens en 1948. C’est pourquoi ces derniers prennent très au sérieux la situation actuelle.
V. F.